La page Linkedin de Sylvain Bertrand

Valéry Brabant

« L’entreprise familiale a du sens »

Le directeur général de la maison Charbonneaux-Brabant, 42 ans, défend l’idée et les valeurs de l’entreprise familiale et préfère le « nous » au « je ».

Valéry Brabant

Vous dirigez aujourd’hui une entreprise familiale, qui est finalement fort ancienne. Pouvez-vous en brosser rapidement l’histoire et en expliquer l’activité ?

La société Brabant est une « vieille » entreprise du Nord, qui est passée d’un métier de distillateur à celui de régénérateur et distributeur d’alcool et de produits chimiques. Charbonneaux, qui a des racines encore plus anciennes, remontant en 1797, travaillait dans le même domaine. Mon grand-père l’a rachetée en 1962. Puis, toujours dans un cadre d’entreprise familiale et de croissance amicale, il a fait l’acquisition en 1966, à Reims, d’une activité de vinaigrier. Mon père est arrivé dans l’entreprise en 1971, il s’est installé à Reims et a beaucoup développé l’entreprise. Pour ma part, j’ai rejoint Charbonneaux-Brabant en 2003. Au cours de ces années l’évolution et la croissance de l’entreprise se sont poursuivies par rachat d’entreprises familiales dans l’univers condimentaire. Aujourd’hui l’activité vinaigre/moutarde/sauce représente les 3/4 de notre activité (35 % à l’export, 35 % aux industriels et restauration hors domicile, 30 % en grandes et moyennes surfaces) ; notre deuxième métier, les produits d’entretien et de bricolage, est présent pour 80 % en grandes et moyennes surfaces (rayon bricolage) et 20 % en vente auprès des industriels. Charbonneaux-Brabant dispose de 7 sites (6 en France, 1 en Italie), emploie 300 collaborateurs, et a réalisé un CA consolidé de 106 M d’ € en 2015.

Vous intervenez dans deux domaines d’activité très différents, culinaire pour l’un, chimique pour l’autre. Est-ce compliqué ?

Dans la mesure où nous disposons du savoir-faire nécessaire pour chacun d’eux j’y vois surtout un intérêt : comme les activités, en général, fonctionnent par cycles, quand l’une traverse un cycle bas l’autre permet de réinvestir pour la soutenir et la développer. Ca crée un équilibre.

Quel est votre parcours et comment êtes-vous arrivé chez Charbonneaux-Brabant ?

Après mes études secondaires à Reims, j’ai fait une licence de droit à Lille, puis l’ESC Lille. Je suis entré chez KPMG entreprise consulting (structure de conseil pour les PME). J’y suis resté trois ans et demi avant que mon père ne me propose de le rejoindre après le départ de notre directeur financier.

Cette « arrivée » dans l’entreprise familiale était-elle programmée, d’une façon ou d’une autre ?

Absolument pas. J’ai un frère qui dirige une société soeur de Charbonneaux-Brabant. Mon père nous a toujours beaucoup parlé de ses affaires. Tant du côté de mon père que de celui de ma mère, il y a une forte culture entrepreneuriale. C’était chez nous quelque chose de naturel. Peut-être mon père pensait-il qu’un de ses fils pourrait lui succéder... Mais, si tel était le cas, cela n’avait rien d’un acquis. Quand j’ai intégré KPMG, c’était pour avoir une bonne connaissance de l’entreprise, de son fonctionnement, avec une formation me permettant de mener un jour un projet entrepreneurial, parce ce que c’est dans la culture familiale. Mais pas franchement dans l’optique de venir chez Charbonneaux-Brabant. Ce qui m’intéressait - m’intéresse toujours - c’est bien la dynamique de l’entreprise, pas le fait de me dire entrepreneur. D’ailleurs, je n’ai jamais eu l’idée de créer une entreprise. Je sais que je ne serais pas « bon ». Chez Charbonneaux-Brabant, nous avons réalisé pas mal d’opérations de croissance externe. Reprendre, structurer, développer, c’est notre quotidien, et c’est passionnant. Mais j’ai un grand respect pour ceux qui créent leur entreprise.

Vous admirez ceux qui créent leur entreprise et vous ne vous sentiriez pas à l’aide dans l’exercice... mais vous dirigez une belle PME. Cela mérite quelques explications !

Je crois que créer une entreprise, c’est une question de personnalité. Je pense que ce qui pousse le créateur, c’est cette forme de leadership entrainant qui le fait avancer devant les autres. J’ai connu, dans mon entourage familial, des hommes de cette trempe, avec cette foi en eux-mêmes, très forte. Celui qui reprend une entreprise a peut-être davantage tendance à vouloir faire grandir les hommes, les pousser à se réaliser autour d’une vision et d’une ambition forte... Je travaille pour ma famille ; j’ai cette idée de devoir faire prospérer l’entreprise dont je ne suis pas propriétaire pour la pérenniser et transmettre un jour le flambeau. Ca se passe de façon sereine et responsable. J’ai le sentiment de savoir ce que je sais faire ou pas et d’être à ma place dans l’entreprise familiale.

Vous employez souvent l’expression « d’entreprise familiale ». Cela a un sens particulier pour vous ?

Ma génération travaille beaucoup sur ce thème de l’entreprise familiale. Pour qu’une entreprise soit et reste familiale, il doit y avoir un véritable « affectio societatis », et il faut tout faire pour le développer. Avec mes neveux et nièces, nous avons créé une association familiale parce que ce sont là des notions nouvelles qu’il faut appréhender le plus tôt possible. Autrefois, le chef d’entreprise raisonnait surtout par rapport à lui, et lui seul. Or, dans une affaire familiale, il est important de fédérer la famille.

Si l’on vous comprend bien, une entreprise familiale a du sens et porte des valeurs...

Tout à fait. Commercialement, l’entreprise familiale, d’une manière générale, a aujourd’hui le vent en poupe. Elle défend une vision familiale, humaine, sociale, et de long terme pour assurer sa pérennité. Dans une entreprise familiale, on porte attention aux collaborateurs - parce que l’on constitue « une grande famille » ! Je vois là du « sens », à l’inverse de ce qui peut se passer parfois dans des sociétés où l’actionnariat est mû uniquement par des intérêts financiers. Au sein de Charbonneaux-Brabant, ma propre place n’est pas « à prendre », selon je ne sais quel jeu politique. Je n’ai pas à déminer tous les matins devant mon bureau ; à moi de mettre en avant les collaborateurs. Le projet de l’entreprise dépasse les questions d’égo. J’aime échanger sur ce sujet de l’entreprise familiale. A tel point qu’avec des dirigeants de mon âge, issus d’entreprises familiales, nous avons fondé le Club Jeune Génération - nous sommes une quarantaine - et nous nous retrouvons une fois par trimestre pour échanger sur ces sujets.

Votre père, Guy Brabant, est président du conseil d’administration de Charbonneaux-Brabant. Le président et le directeur général « fonctionnent-ils » bien ?

Comme je le disais à l’instant, le projet de l’entreprise doit dépasser les questions d’égo, et c’est ce que nous faisons. Quand on n’est pas d’accord, il faut avant tout communiquer - surtout quand on n’en a pas envie. C’est aussi ce que nous faisons. Et, ça tombe bien, ni lui ni moi ne sommes d’un tempérament explosif. Mais je dois dire que nous sommes parfaitement en phase et que s’il peut y avoir des différences d’appréciation, la bonne solution émerge au fil d’une réflexion à plusieurs. Il n’y a rien de pire que lorsque quelqu’un arrive avec une solution toute prête. Il faut s’éloigner du « je » de l’ego pour aller vers le « nous » de toute l’entreprise. Dans ce cas, on est toujours plus fort.

Est-ce facile de succéder à son père ?

On vérité, on n’a jamais de retour à ce sujet. Quand on est le fils de..., on se sent un peu illégitime - même si on est compétent. Mais c’est aussi un bon moteur pour conquérir cette légitimité. Car il est indispensable d’acquérir cette légitimité, pour soi autant que pour l’entreprise. Et après, les choses se passent naturellement. Je sais que ce sentiment est partagé par mes amis du Club Jeune Génération.

Finalement, qu’est-ce qu’un bon chef d’entreprise, à vos yeux ?

C’est quelqu’un qui doit porter une vision. Savoir où l’entreprise doit aller - vers quelles axes se diriger. Un bon chef d’entreprise a besoin d’une bonne dose d’anxiété, c’est un bon carburant pour chercher à anticiper les prochains « virages ». Après, il y a différents chemins pour réaliser cette vision. J’espère que je ne vous surprendrai pas en disant que chez Charbonneaux-Brabant, nous pratiquons plutôt le management participatif...


Visitez charbonneauxbrabant.com

Précédent
Marc Chansard
Suivant
Stéphane Haefliger

Il y a toujours (...) un moment où la porte s’ouvre et laisse entrer l’avenir

Graham Greene

Restons en contact

contact